Originally published in The Clarinet 47/3 (June 2020). Printed copies of The Clarinet are available for ICA members.
“International Spotlight” showcases perspectives from the global clarinet community.
International Spotlight: L’Orchestre de la Garde Républicaine: The Story of a Legend
by Sylvie Hue
French Version
L’Orchestre de la Garde républicaine a maintenant 172 années d’existence.
Il est l’un des plus anciens orchestres militaires en Europe à avoir effectué des tournées, et ce depuis la fin du XIXème siècle. Il a joué un rôle important dans la diffusion à internationale de la célèbre « École française d’instruments à vent ».
Guy Deplus, mon professeur au Conservatoire de Paris, était clarinette solo à la Garde républicaine au milieu des années 60. C’était avant qu’il ne devienne membre de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Personnellement, je suis membre de l’orchestre depuis 1985, et occupe à présent le poste de clarinette-solo. Je suis heureuse de vous apporter quelques éléments d’information sur cet orchestre auquel j’appartiens, que l’on appelle tout simplement, en français, « la Garde » !
De façon générale, son histoire est partie liée non seulement avec la grande, mais aussi avec la petite histoire de France. Transportons-nous en mai 1848, à Paris. La capitale était alors de théâtre de graves troubles. Afin de garantir la sécurité, les autorités décidèrent de mettre en place un régiment nommé Garde républicaine parisienne et dédié aux missions de police urbaine. Il comptait sur ses rangs des soldats et des officiers parfaitement aguerris. On y trouvait également 36 tambours et 8 trompettes de cavalerie. Jean-Georges Paulus fut recruté comme chef de cet ensemble de musiciens.
Mais qui était Paulus ? Titulaire d’un Premier Prix du Conservatoire de Paris, c’était un très bon clarinettiste, mais aussi un chef de musique renommé. Le fait de recruter un professionnel de son niveau laisse à penser que les autorités militaires souhaitaient mettre sur pieds un véritable orchestre d’instruments à vent au sein même de la Garde républicaine parisienne. Après des temps très difficiles à Paris, conséquence des événements politiques, les autorités avaient certainement jugé nécessaire de renforcer les liens entre l’armée et les parisiens. Un ensemble musical de bonne qualité placé sous la direction d’un chef de musique de renom pouvait aider à valoriser l’image du monde militaire, tout en tournant la page de cette période dramatique.
Nous ne savons pas grand chose des toutes premières années de la Garde. En effet, l’essentiel des archives concernant cette période ont disparu au moment des terribles inondation de Paris, en 1910. La première grande apparition publique semble dater de 1852. 500 musiciens militaires, dont Paulus et son orchestre, étaient alors réunis afin de célébrer le nouveau chef d’état français, futur Napoléon III. Ils interprétèrent des extraits de la Messe Solennelle de Ste Cécile, une pièce composée par Adolphe Adam et arrangée pour musique militaire par Hyacinthe Klosé, père de la clarinette moderne ! Malgré l’importance de cet événement, comme probablement d’autres que nous ignorons, la musique de la Garde n’a toujours pas d’existence officielle. C’est en 1856 que Napoléon III signe finalement le décret officiel portant création de la Garde, huit années après que Paulus eut été recruté.
Voici la toute première photographie de la musique de la Garde. Le cliché date de 1859. Nous y dénombrons 53 musiciens, dont 11 clarinettistes et 14 joueurs de saxhorn. En quoi consistaient les concerts en ces temps héroïques ? En l’absence de témoignages, nous supposons que Paulus et la Garde se produisaient pour des événements précis, par exemple se tenant à l’Hôtel de Ville. Sans doute donnaient-ils, parallèlement à cela, des concerts dans les jardins publics lorsque le temps était de la partie, entre mai et septembre. Rien d’extraordinaire, en somme…ceci jusqu’à la tenue de l’Exposition Internationale de Paris, en 1867. Le comité organisateur de l’exposition avait décidé de l’organisation d’un concours international de musiques militaires. La fine fleur des ensembles européens d’instruments à vent étant invitée, c’était un événement considérable. Près de 25 000 auditeurs s’étaient précipités au Palais de l’Industrie afin d’assister au concours. Deux pièces étaient inscrites au programme : l’ouverture d’Obéron, de Weber, et un morceau au choix. Placée sous la direction de Paulus, la Garde interpréta un extrait de Lohengrin, de Wagner, un compositeur plutôt controversé, à ce moment-là, en France. Coup du sort – mais pas uniquement ! – Paulus et la Garde remportèrent le Premier Prix ex-æquo avec l’Autriche et la Prusse. Soudain se trouvaient-ils projetés sur le devant de la scène, non seulement en France, mais aussi au-delà des frontières.
Survint malheureusement la guerre de 1870 entre la France et la Prusse, suivie d’une guerre civile à Paris, particulièrement sanglante. Ces événements tragiques précipitèrent l’effondrement du pouvoir impérial. Napoléon III abdiqua, et la Troisième République fut proclamée.
Malgré ces bouleversements politiques et diplomatiques, personne n’avait oublié le succès international de 1867…Six mois seulement après la fin de la guerre civile, Paulus et la Garde étaient invités à se produire à Londres dans l’immense et somptueuse enceinte du tout nouvel Albert Hall…mais ceci n’était qu’un début !
Le meilleur était à venir….
Afin de célébrer la fin de la guerre entre la France et l’Allemagne, un Jubilé de la Paix était organisé à Boston, en 1872, en marge des célébrations de l’Indépendance américaine. De nombreuses musiques militaires de différents pays se trouvaient invitées à participer à cet événement international. La France et l’Allemagne étaient à l’honneur. Paulus et ses musiciens débarquèrent à New York…après une traversée de 13 jours ! Ils passèrent plus de deux mois dans le nord-est des États-Unis pour une tournée de 25 concerts, qui remportèrent un grand succès. Le Hail Columbia déclenchait des tonnerres d’applaudissements ! A l’opéra de Pittsburgh, l’enthousiasme du public était tel, que l’on craint un moment que l’édifice ne s’écroulât…La critique américaine releva la parfaite intonation de l’orchestre, mais aussi la beauté du rendu sonore, grâce à la présence des saxophones et des saxhorns. Bien évidemment, la critique française déclara que le niveau de l’orchestre militaire français était bien supérieur à celui de l’orchestre allemand.
En France, nous en étions aux débuts de la Troisième République. C’était une période politiquement instable. Dès lors, la Garde joua un rôle non négligeable dans la promotion des idéaux démocratiques du système républicain. Les musiciens et leur chef prirent part à de nombreux événements de grande importance, par exemple la première célébration du 14 juillet, jour de fête nationale en France. A cette occasion, ils interprétèrent la Marseillaise, pour la première fois en tant qu’hymne officiel. Durant toutes ces années, la Garde devint l’une des voix du sentiment national, symbolisant ainsi la « conscience républicaine collective ».
Le grand Gabriel Parès présidait alors aux destinées de la formation. C’était non seulement un bon chef d’orchestre, mais aussi un habile transcripteur. Son intention était de transformer la musique militaire en un véritable orchestre d’instruments à vent, ce qui était un concept tout-à-fait novateur au début du XXème siècle. Sur l’impulsion de Gabriel Parès, le répertoire de la Garde prit un nouvel essor : dès lors on y trouvait les noms de compositeurs contemporains, tels Saint-Saëns, César Franck et Massenet.
Quelques membres de la Garde acquirent une telle célébrité, que certains fabricants d’instruments de musique renommés utilisèrent leur nom et de leur photographie comme support publicitaire :
les tout premiers débuts du marketing français ! Un exemple avec Henri Paradis, clarinette solo, dont on disait qu’il jouait « comme un ange ». C’est la Belle-Epoque, avec ses défilés militaires si prisés du public. Bien évidemment, la « star » en était le tambour-major, dont on disait qu’il était le plus bel homme de France ! Services au Palais de l’Élysée, à l’Hôtel de Ville ou autres bâtiments officiels, des concerts bien sûr à Paris, mais aussi dans toute la France, y compris dans de petites villes : tel était le rythme hebdomadaire. S’il n’y avait pas d’endroit approprié pour un concert, le kiosque faisait très bien l’affaire, pourvu que le temps se montrât de la partie !
Parallèlement à ces concerts, il y avait également de nombreux enregistrements pour Pathé ou Columbia. Les concerts de kiosque et les enregistrements accessibles pour toutes les bourses constituaient les premiers jalons d’une véritable démocratisation culturelle. Enfin et surtout, les musiciens et leur célèbre chef, sanglés dans leur prestigieux uniforme, symbolisaient et renforçaient les liens entre l’armé et la nation. A quelques années de la Première Guerre mondiale, c’était une préoccupation profonde et essentielle de l’idéologie constitutive de la Troisième République.
La Garde était également impliquée dans les initiatives diplomatiques de la France, en tant qu’ambassadeur culturel. Il faut considérer chaque concert donné dans les métropoles européennes (Londres, Rome, Valence, Genève) comme étant élément d’une offensive de charme auprès des opinions publiques. Les tournées de la Garde, avant et même après la Première Guerre mondiale, reflétaient quelques unes des principales orientations de la diplomatie française.
Dans ces circonstances, les États-Unis constituaient également un « incontournable ». La Garde fut invitée à St Louis, Missouri, afin de prendre part à l’Exposition Internationale de 1904. Cet événement de première importance était organisé afin de célébrer le centenaire du rachat de la Louisiane. Quarante et un concerts en cinq semaines ! Le dernier eut lieu à Carnegie Hall à New York. Un critique musical travaillant pour le compte du Morning Telegraph déclara que « le pupitre de clarinettes est sans égal. Le chœur, composé entièrement d’instruments, à vent a été porté à un niveau tellement extraordinaire pour ce qui est du contrôle, que M. Parès est à même de pouvoir rendre des effets orchestraux époustouflants. »
Quatorze années plus tard, dans des circonstances tout autres, Gabriel Parès effectua une autre tournée aux États-Unis. C’était entre mai 1918 et janvier 919. En tant que chef honoraire de la Garde, il lui avait été demandé de créer un orchestre composé uniquement de soldats blessés ou démobilisés. Ce furent plus de 100 concerts au Canada ainsi qu’aux États-Unis. Cette tournée constituait une démonstration de la fraternité unissant les pays alliés, tout en exprimant le sentiment de gratitude du peuple français envers le peuple américain. Elle contribua à la levée de fonds destinés à l’effort de guerre. Léon Leroy, soliste au New York Symphony Orchestra, occupait le poste de clarinette-solo à la Garde, avant d’être recruté par Walter Damrosh. Il se produisit en tant que concertiste avec cet orchestre militaire français très particulier, placé sous la direction de Gabriel Parès.
Comme indiqué précédemment, la Garde, au début du XXème siècle, peut se définir comme une entité artistique, et, d’une certaine manière, diplomatique. En vertu de quoi la grande tournée américaine de 1953 atteignit une dimension quasi légendaire dans l’histoire de la Garde.
Cette tournée transcontinentale était organisée par la célèbre Columbia Artists Management Company : elle ne comprenait pas moins de 80 concerts aux USA mais aussi au Canada, ce qui représentait 180 000 auditeurs, et 24 000 miles en bus ! En plus de pièces issues du répertoire militaire traditionnel, le programme incluait des chefs-d’œuvre du répertoire français et allemand : Till Eulenspiegel, Prélude à l’Après-midi d’un Faune, mais aussi un extrait du Second Concerto de Weber pour clarinette, joué par le soliste, Henri Druart.
Depuis, la Garde s’est produit aux États-Unis en 1975 et 2001. Je vais maintenant brièvement présenter la Garde telle qu’elle est de nos jours.
En 1993, la Musique de la Garde a pris son appellation officielle d’Orchestre de la Garde républicaine. Elle fait partie de la Gendarmerie Nationale. Elle comprend un chef principal (le Colonel François Boulanger) et un chef-adjoint (le Colonel Sébastien Billard). L’ensemble de l’orchestre se compose de 120 musiciens, répartis en deux groupes : d’une part l’orchestre à cordes, formé de 40 musiciens, d’autre part l’orchestre d’harmonie composé de 80 instrumentistes à vent et de percussionnistes. L’orchestre symphonique de la Garde républicaine regroupe les cordes, une partie des instrumentistes à vent et le pupitre de percussions. Un chœur masculin crée en 1982 a été récemment rattaché à l’orchestre.
Les musiciens sont recrutés sur concours. Les candidats doivent jouer un programme imposé. Afin de garantir l’anonymat durant le concours de recrutement, les épreuves se déroulent derrière paravent. La personne retenue sera nommée sous-officier de carrière trois années plus tard. Les grades vont de maréchal-des-logis à major. La Garde se produit naturellement à l’occasion de cérémonies officielles et des dîners d’État au Palais de l’Élysée, mais aussi pour des événements ponctuels telle la récente commémoration du 75ème anniversaire du Débarquement. Parallèlement à ces services officiels, l’orchestre se produit en concert dans toute la France ainsi qu’à l’étranger, sur initiative privée ou pour des organismes caritatifs. L’ensemble représente une centaine de concerts par an. Dans le droit fil de son histoire, l’orchestre de la Garde est aux ordres de la République française, mais il constitue également une institution musicale très populaire en France et au-delà. Cette double identité détermine son exceptionnelle spécificité. A ce titre la Garde est considérée, en France, comme un joyau de la nation.
http://orchestrechoeur.garderepublicaine.fr/
À propos de l’auteur
Élève de Guy Deplus, Sylvie Hue est titulaire d’un Premier Prix au Concours International de Clarinette du Japon. Elle est actuellement première clarinette-solo de l’Orchestre de la Garde républicaine, et professeur au Conservatoire de Paris-Saclay. Sylvie Hue est artiste Selmer et Vandoren.
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